Travailler à partir d'exemples : politique et tissage

par Maryse Emel

  Etude du texte suivant :

L’ÉTRANGER — Que pourrions-nous donc prendre comme exemple qui comportât le même genre d’activité que la politique et qui, comparé à elle, nous mettrait à même, en dépit de sa petitesse, de découvrir ce que nous cherchons. Au nom de Zeus, veux-tu, Socrate, si nous n’avons rien d’autre sous la main, que nous choisissions le tissage, et encore, si tu n’as pas d’objections, pas tout le tissage; car nous aurons peut-être assez du tissage des laines; il se peut, en effet, que la partie que nous aurons choisie nous donne le témoignage que nous voulons.

SOCRATE LE JEUNE —Pourquoi pas

L’ÉTRANGER —Oui, pourquoi, ayant divisé précédemment chaque sujet, en en coupant successivement les parties en parties, ne ferions-nous pas à présent la même chose pour le tissage, et que ne parcourons-nous cet art tout entier le plus brièvement possible, pour revenir vite à ce qui peut servir à notre présente recherche?

SOCRATE LE JEUNE —Que veux-tu dire?

L’ÉTRANGER —Ma réponse sera l’exposé même que je vais te faire.

SOCRATE LE JEUNE —C’est fort bien dit.

L’ÉTRANGER —Eh bien donc, toutes les choses que nous fabriquons ou acquérons ont pour but, ou de faire quelque chose, ou de nous préserver de souffrir. Les préservatifs sont ou des antidotes ‘soit divins soit humains, ou des moyens de défense. Les moyens de défense sont, les uns des armures de guerre, les autres des abris. Les abris sont ou des voiles contre la lumière ou des défenses contre le froid et la chaleur. Les défenses sont des toitures ou des étoffes. Les étoffes sont des tapis qu’on met sous soi ou des enveloppes. Les enveloppes sont faites d’une seule pièce ou de plusieurs. Celles qui sont faites de plusieurs pièces sont, les unes piquées, les autres assemblées sans couture. Celles qui sont sans couture sont faites de nerfs de plantes ou de crins. Parmi celles qui sont faites de crins, les unes sont collées avec de l’eau et de la terre, les autres attachées sans matière étrangère. C’est à ces préservatifs et à ces étoffes composés de brins liés entre eux que nous avons donné le nom de vêtements. Quant à l’art qui s’occupe spécialement des vêtements, de même que nous avons tantôt appelé politique celui qui a soin de l’Etat, de même nous appellerons ce nouvel art, d’après son objet même, art vestimentaire. Nous dirons en outre que le tissage, en tant que sa partie la plus importante se rapporte, nous l’avons vu, à la confection des habits, ne diffère que par le nom de cet art vestimentaire, tout comme l’art royal, de l’art politique, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure.

SOCRATE LE JEUNE —Rien de plus juste.

L’ÉTRANGER —Observons maintenant qu’on pourrait croire qu’en parlant ainsi de l’art de tisser les vêtements, nous l’avons suffisamment défini; mais il faudrait pour cela être incapable de voir qu’il n’a pas encore été distingué des arts voisins qui sont ses auxiliaires, bien qu’il ait été séparé de plusieurs autres qui sont ses parents.

SOCRATE LE JEUNE —Quels sont ces parents? dis-moi.

L'ETRANGER

XXII. — Tu n’as pas suivi ce que j’ai dit, à ce que je vois. Il nous faut donc, ce me semble, revenir sur nos pas et recommencer par la fin. Car si tu conçois bien ce qu’est la parenté, c’est un art qui lui est parent que nous avons détaché tout à l’heure de l’art de tisser, quand nous avons mis à part la fabrication des tapis, en distinguant ce qu’on met autour de soi et ce qu’on met dessous.

SOCRATE LE JEUNE —Je comprends.

L’ÉTRANGER —Et nous avons écarté également toute la fabrication des vêtements faits de lin, de sparte et de tout ce que tout à l’heure nous avons appelé par analogie les nerfs des plantes. Nous avons éliminé aussi l’art de feutrer et celui d’assembler en perçant et en cousant, dont la partie la plus considérable est la cordonnerie.

SOCRATE LE JEUNE —Parfaitement.

L’ ÉTRANGER

Et puis la pelleterie, qui apprête des couvertures faites d’une seule pièce, et la construction des abris qui sont l’objet de l’art de bâtir ou de la charpenterie en général, ou d’autres arts qui nous protègent contre les eaux, nous avons écarté tout cela, ainsi que tous les arts de clôture, qui fournissent des barrières contre les vols et les actes de violence en fabriquant des couvercles et des portes solides, et qui sont des parties spéciales de l’art de clouer. Nous avons retranché aussi la fabrication des armes, qui est une section de la grande et complexe industrie qui prépare des moyens de défense. Nous avons éliminé de même, dès le début, toute la partie de la magie qui a pour objet les antidotes, et nous n’avons conservé, on pourrait du moins le croire, que l’art même que nous cherchons, celui qui nous garantit des intempéries, en fabriquant des défenses de laine, et qui porte le nom de tissage.

SOCRATE LE JEUNE —On peut le croire en effet.

L’ÉTRANGER —Cependant, mon enfant, notre exposition n’est pas encore complète; car celui qui met le premier la main à la confection des vêtements semble bien faire le contraire d’un tissu.

SOCRATE LE JEUNE —Comment?

L’ÉTRANGER —Un tissu est bien une sorte d’entrelacement?

SOCRATE LE JEUNE —Oui.

L’ÉTRANGER —Mais le premier travail consiste à séparer ce qui est réuni et pressé ensemble.

SOCRATE LE JEUNE —Qu’entends-tu donc par l�

L’ÉTRANGER —Le travail que fait l’art du cardeur. Ou bien aurons-nous le front d’appeler tissage le cardage et de dire que le cardeur est un tisserand?

SOCRATE LE JEUNE —Pas du tout.

L’ÉTRANGER —N’en est-il pas de même de la confection de la chaîne et de la trame? L’appeler tissage, ce serait aller contre l’usage et la vérité.

SOCRATE LE JEUNE —C’est indéniable.

L’ÉTRANGER —Et l’art de fouler en général et l’art de coudre, soutiendrons-nous qu’ils n’ont rien à voir ni à faire avec le vêtement, ou dirons-nous que ce sont là autant d’arts de tisser?

SOCRATE LE JEUNE —Pas du tout.

L’ÉTRANGER —Il n’en est pas moins certain que tous ces arts disputeront à l’art du tissage le soin et la confection des vêtements, et qu’en lui accordant la plus grosse part, ils s’attribueront à eux-mêmes une part importante.

SOCRATE LE JEUNE —Assurément.

L’ÉTRANGER —Outre ces arts, il faut encore s’attendre à ce que ceux qui fabriquent les outils qui servent à exécuter le travail du tissage revendiquent leur part dans la confection de toute espèce de tissu.

SOCRATE LE JEUNE —C’est très juste.

L’ÉTRANGER —Notre définition du tissage, c’est-à -dire de la portion que nous avons choisie, sera-t-elle suffisamment nette si, de tous les arts qui s’occupent des vêtements de laine, nous disons que c’est le plus beau et le plus important? ou bien ce que nous en avons dit, quoique, vrai, restera-t-il obscur et imparfait, tant que nous n’en aurons pas écarté tous ces arts?

SOCRATE LE JEUNE —C’est juste.

Platon

Le Politique

  Premier temps :

L’ÉTRANGER —Eh bien donc, toutes les choses que nous fabriquons ou acquérons ont pour but, ou de faire quelque chose, ou de nous préserver de souffrir.

Les préservatifs sont ou des antidotes ‘soit divins soit humains, ou des moyens de défense.

Les moyens de défense sont, les uns des armures de guerre, les autres des abris.

Les abris sont ou des voiles contre la lumière ou des défenses contre le froid et la chaleur.

Les défenses sont des toitures ou des étoffes.

Les étoffes sont des tapis qu’on met sous soi ou des enveloppes.

Les enveloppes sont faites d’une seule pièce ou de plusieurs.

Celles qui sont faites de plusieurs pièces sont, les unes piquées, les autres assemblées sans couture.

Celles qui sont sans couture sont faites de nerfs de plantes ou de crins.

Parmi celles qui sont faites de crins, les unes sont collées avec de l’eau et de la terre, les autres attachées sans matière étrangère.

C’est à ces préservatifs et à ces étoffes composés de brins liés entre eux que nous avons donné le nom de vêtements.

Quant à l’art qui s’occupe spécialement des vêtements, de même que nous avons tantôt appelé politique celui qui a soin de l’Etat, de même nous appellerons ce nouvel art, d’après son objet même, art vestimentaire.

Nous dirons en outre que le tissage, en tant que sa partie la plus importante se rapporte, nous l’avons vu, à la confection des habits, ne diffère que par le nom de cet art vestimentaire tout comme l’art royal, de l’art politique, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure.

  Histoire du tissage : un document du Louvre sur l'Egypte et le tissage

  Comment est construit le texte?

art du tissage


Question 1 - Définir le tissage en faisant un tableau à partir des exemples du texte de Platon
A -

Question 2 - Pourquoi l'homme est-il un technicien? Quel est son vrai souci?
A - Lui car il est faible
B - Il aime la nature

Question 3 - Quelle est la méthode que met en place l'Etranger?
A -

Question 4 - Pourquoi est-ce plus facile de comprendre un tel exemple?
A -

Question 5 - A quel rapprochement procède ainsi l'Etranger? Quel est le modèle du politique?
A -




  Interpréter l'exemple

On lit dans le texte :

Les préservatifs sont ou des antidotes ‘soit divins soit humains, ou des moyens de défense. Les moyens de défense sont, les uns des armures de guerre, les autres des abris.

1. Si la politique est un art elle vise à protéger les hommes par la maison (lieu de l'économie, oikos en grec c'est la maison) et la guerre. Elle appartient à la logique des moyens.

2. Le politique est-il une affaire morale?

Cliquer sur cette page pour approfondir :

 La lecture du Protagoras de Platon  : le mythe de Prométhée

Rousseau voit dans le développement de l'économie et de la guerre une conséquence funeste de la technique . Cliquez :

 L'époque des cabanes dans Le Second Discours de Rousseau

Comparer avec ce texte extrait des Fragments sur l'état de guerre où il développe une toute autre thèse, ou du moins où il l'approfondit :

  Exemple ou analogie?

  Les limites de l'exemple

XXII. — Tu n’as pas suivi ce que j’ai dit, à ce que je vois. Il nous faut donc, ce me semble, revenir sur nos pas et recommencer par la fin. Car si tu conçois bien ce qu’est la parenté, c’est un art qui lui est parent que nous avons détaché tout à l’heure de l’art de tisser, quand nous avons mis à part la fabrication des tapis, en distinguant ce qu’on met autour de soi et ce qu’on met dessous.

SOCRATE LE JEUNE —Je comprends.

L’ÉTRANGER —Et nous avons écarté également toute la fabrication des vêtements faits de lin, de sparte et de tout ce que tout à l’heure nous avons appelé par analogie les nerfs des plantes. Nous avons éliminé aussi l’art de feutrer et celui d’assembler en perçant et en cousant, dont la partie la plus considérable est la cordonnerie.

SOCRATE LE JEUNE —Parfaitement.

L’ ÉTRANGER

Et puis la pelleterie, qui apprête des couvertures faites d’une seule pièce, et la construction des abris qui sont l’objet de l’art de bâtir ou de la charpenterie en général, ou d’autres arts qui nous protègent contre les eaux, nous avons écarté tout cela, ainsi que tous les arts de clôture, qui fournissent des barrières contre les vols et les actes de violence en fabriquant des couvercles et des portes solides, et qui sont des parties spéciales de l’art de clouer. Nous avons retranché aussi la fabrication des armes, qui est une section de la grande et complexe industrie qui prépare des moyens de défense. Nous avons éliminé de même, dès le début, toute la partie de la magie qui a pour objet les antidotes, et nous n’avons conservé, on pourrait du moins le croire, que l’art même que nous cherchons, celui qui nous garantit des intempéries, en fabriquant des défenses de laine, et qui porte le nom de tissage.

SOCRATE LE JEUNE —On peut le croire en effet.

L’ÉTRANGER —Cependant, mon enfant, notre exposition n’est pas encore complète ; car celui qui met le premier la main à la confection des vêtements semble bien faire le contraire d’un tissu.

SOCRATE LE JEUNE —Comment ?

L’ÉTRANGER —Un tissu est bien une sorte d’entrelacement ?

SOCRATE LE JEUNE —Oui.

L’ÉTRANGER —Mais le premier travail consiste à séparer ce qui est réuni et pressé ensemble.

  Réponse d'Aristote

S'il était possible à chaque instrument parce qu'il en aurait reçu l'ordre ou par simple pressentiment de mener à bien son oeuvre propre, comme on le dit des statues de Dédale ou des trépieds d'Héphaïstos qui, selon le poète, entraient d'eux-mêmes dans l'assemblée des dieux, si, de même, les navettes tissaient d'elles-mêmes et les plectres jouaient tout seuls de la cithare, alors les ingénieurs n'auraient pas besoin d'exécutants ni les maîtres d'esclaves.

Aristote

Politique, I, 4, 1253b