Table des matières

Maryse Emel

Objectif : se servir des ressources Eduthèque

 1. Définitions

Ces synonymes ont-ils vraiment le même sens?

Dégager les différents sens de ces mots.

Définition du mythe par Claude Lévi Strauss. Voir la vidéo :

Claude LEVI STRAUSS dans son bureau explique ce que sont les mythes, des histoires que les gens se racontent ou qu'ils entendent raconter et qui se sont incorporées au patrimoine collectif. Chaque société essaie de comprendre comment elle est faite, ses rapports avec le monde extérieur et la position de l'homme dans l'ensemble de l'univers. Il compare ensuite le mythe avec un orchestre dans lequel tous les instruments contribuent au message total, le propre du mythe étant de donner une explication sur plusieurs registres

Émission Le Fond et la forme

Producteur ou co-producteur Office national de radiodiffusion télévision française

 2. La question de l'origine: le mythe

Le mythe s'interroge sur l'origine. A la recherche d'un commencement ou des causes, il s'appuie sur des images et un récit narratif.

 2.1. Quelques récits sur l'origine du monde

exercice : comparer ces différents récits afin d'établir le sens du mythe.

  • Pourquoi n'est-ce pas une fable?
  • Sur quoi s'interroge le mythe?
  • Que racontent ces mythes?
  • Ils se racontent. Qu'apporte de particulier la narration?

" Il n'était alors ni Non-Être, ni Être. Il n'était d'atmosphère, ni de ciel au-dessus. Qui enveloppait tout ? Eau ou abîme ? Jour ni nuit, ni mort, ni immortalité. L'Un respirait calmement, étant à lui-même son soutien. L'Un vide et enveloppé de néant, se développait par la Ferveur : et le Désir s'éleva en lui, et, de là, est le germe premier, lien qui unit Être et Non-Être" Inde, Rig Veda

"De la conception, l'accroissement. De l'accroissement, l'intumescence. De l'intumescence, la pensée.- De la pensée, le souvenir. Du souvenir, le désir. - Fécond devint le mot. Et il s'unit avec la vague lueur, et il engendra la nuit. - Du néant, la naissance". Nouvelle Zélande, Poème Maori

"Il était! Taaroa était son nom. Il planait dans le vide : point de terre et point de ciel. Taaroa appelle, mais rien ne lui répond. Alors, de son existence solitaire il tira l'existence du monde. Les piliers, les rochers, les sables, se lèvent à la voix de Taaroa : c'est ainsi que lui-même s'est nommé ! Il est le germe et l'assise, et l'incorruptible". Polynésie, Poème Tahitien

L'Ordre et la Vérité sont nés

de l'Ardeur qui s'allume.

De là est née la Nuit.

De là l'Océan et ses ondes.

De l'Océan avec ses ondes

naquit l'Année,

qui répartit jours et nuits,

régissant tout ce qui cligne des yeux.

L'Ordonnateur a mis en forme

le Soleil et la Lune, en rang de priorité ;

le Ciel et la Terre ;

l'Espace aérien ; enfin la Lumière. Hymne Védique, L'ardeur cosmique

Donc, avant tout, fut le Vide ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais offerte à tous les vivants, et Amour, le plus beau parmi les dieux immortels, celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte le cœur et le sage vouloir. Du Vide naquirent Erèbe et la noire Nuit. Et de Nuit, à son tour, sortirent Éther et Lumière du Jour. Terre, elle, d’abord enfanta un être égal à elle-même ; capable de la couvrir toute entière, Ciel Étoilé, qui devait offrir aux dieux bienheureux une assise sûre à jamais.

Hésiode, Théogonie

Avant la mer, la terre et le ciel qui couvre tout, la nature, dans l'univers entier, offrait un seul et même aspect ; on l'a appelé le chaos ; ce n’était qu’une masse informe et confuse, un bloc inerte, un entassement d'éléments mal unis et discordants. Il n'y avait pas encore de Titan pour donner sa lumière au monde ; Phébé ne réparait pas les cornes nouvelles de son croissant ; la terre n'était pas suspendue dans l'air environnant ni équilibrée par son propre poids ; Amphitrite n'avait pas étendu ses bras tout le long des rivages. Partout où il y avait de la terre, il y avait aussi de la mer et de l’air ; ainsi la terre était instable, la mer impropre à la navigation, l'air privé de lumière ; aucun élément ne conservait sa forme, chacun d'eux était un obstacle pour les autres, parce que dans un seul corps le froid faisait la guerre au chaud, l'humide au sec, le mou au dur, le pesant au léger. Un dieu, avec l'aide de la nature en progrès, mit fin à cette lutte ; il sépara du ciel la terre, de la terre les eaux et il assigna un domaine au ciel limpide, un autre à l'air épais. Après avoir débrouillé ces éléments et les avoir tirés de la masse ténébreuse, en attribuant à chacun une place distincte, il les unit par les liens de la concorde et de la paix. La substance ignée et impondérable de la voûte céleste s'élança et se fit une place dans les régions supérieures. L'air est ce qui en approche le plus par sa légèreté et par sa situation ; la terre, plus dense, entraîna avec elle les éléments massifs et se tassa sous son propre poids ; l'eau répandue alentour occupa la dernière place et emprisonna le monde solide.

  • S'agit-il ici de démontrer?
  • Comment expliquer le recours aux causes?

Lorsque le dieu, quel qu'il fût, eut ainsi partagé et distribué l'amas de la matière, lorsque de ses différentes parts il eut façonné des membres, il commença par agglomérer la terre, pour en égaliser de tous côtés la surface, sous la forme d'un globe immense. Puis il ordonna aux mers de se répandre, de s'enfler au souffle furieux des vents et d'entourer d'une ceinture les rivages de la terre. Il ajouta les fontaines, les étangs immenses et les lacs, enferma entre des rives obliques la déclivité des fleuves, qui, selon les contrées, sont absorbés par la terre elle-même ou parviennent jusqu'à la mer et, reçus dans la plaine des eaux plus libres, battent, au lieu de rives, des rivages. Il ordonna aux plaines de s'étendre, aux vallées de s'abaisser, aux forêts de se couvrir de feuillage, aux montagnes rocheuses de se soulever. Deux zones partagent le ciel à droite, deux autres à gauche, avec une cinquième plus chaude au milieu d'elles ; la masse qu'il enveloppe fut soumise à la même division par les soins du dieu et il y a sur la terre autant de régions que couvrent les zones d'en haut. L'ardeur du soleil rend celle du milieu inhabitable ; deux autres sont recouvertes de neiges épaisses ; entre elles il en plaça encore deux, à qui il donna un climat tempéré, en mélangeant le froid et le chaud.

Au-dessus s'étend l'air; autant il est plus léger que la terre et l'eau, autant il est plus lourd que le feu. C'est le séjour que le dieu assigna aux brouillards et aux nuages, aux tonnerres, qui épouvantent les esprits des humains, et aux vents, qui engendrent les éclairs et la foudre. Aux vents eux-mêmes l'architecte du monde ne livra pas indistinctement l'empire de l'air; aujourd'hui encore, quoiqu'ils règnent chacun dans une contrée différente, on a beaucoup de peine à les empêcher de déchirer le monde, si grande est la discorde entre ces frères. L'Eurus se retira vers l'aurore, le royaume des Nabatéens, la Perse et les sommets au-dessus desquels montent les rayons du matin ; Vesper et les rivages attiédis par le soleil couchant sont voisins du Zéphyre ; l'horrible Borée envahit la Scythie et le septentrion ; les régions opposées de la terre sont détrempées sans trêve par les nuages et les pluies de l'Auster. Au-dessus des vents, le dieu plaça l'éther fluide et sans pesanteur, qui n'a rien des impuretés d'ici-bas. Dès qu'il eut enfermé tous ces domaines entre des limites immuables, les étoiles, longtemps cachées sous la masse qui les écrasait, commencèrent à resplendir dans toute l'étendue des cieux. Pour qu'aucune région ne fût privée de sa part d'êtres vivants, les astres et les dieux de toutes formes occupèrent le céleste parvis.Ovide, Métamorphoses

 2.2. Cadmos apportant l’alphabet aux Grecs Mythe de naissance de l'écriture grecque

mythe de Cadmos sur l'écriture
BnF?, département des Monnaies, médailles et antiques, MONNAIE PROVINCIALE ROMAINE PHENICIE FG 2281 © BnF? Les Grecs de l'Antiquité expliquent ainsi la naissance de l'écriture :

Il y avait alors en Phénicie un roi qui avait une fille fort jolie, nommée Europe. Naturellement, Zeus en tomba amoureux et, ayant pris la forme d'un taureau blanc, il l'enleva. Le père d'Europe envoya ses autres enfants à la recherche de sa fille. L'un d'eux, Cadmos, après avoir erré longtemps sur la Méditerranée, parvint à Delphes, où l'oracle lui apprit qi'il ne retrouverait jamais sa soeur. Mais l'oracle lui dit aussi qu'il fonderait une ville là où le mènerait une génisse blanche. La cité qu'il fonda s'appela Thèbes.

Cependant, pour remercier les dieux, il fallait sacrifier la génisse. Les compagnons de Cadmos allèrent donc puiser de l'eau dans un petit bois. Mais le bois et la source appartenaient à Arès, le dieu de la guerre, et un dragon les gardait. Le monstre dévora les compagnons de Cadmos avant que le héros ne parvienne à le tuer.

Sur l'ordre d'Athéna, Cadmos traça un sillon pour fixer les limites de la future ville et il y sema les dents du dragon. Surprise ! À peine avait-il terminé que des hommes en armes surgirent de terre ! Tous les guerriers s'entre-massacrèrent, sauf cinq qui devinrent les nouveaux compagnons de Cadmos.

Cadmos, attristé par la mort de ses compagnons, dessina sur le sable un emblème différent pour chacun d'eux : ainsi, il pouvait les évoquer et s'en souvenir. Et il attribua également un signe à chacun de ses cinq nouveaux compagnons.

Il pouvait, en réunissant ces signes, raconter son histoire : Cadmos venait d'inventer l'écriture.

 2.3. Le mythe à a recherche des causes

A partir de cet extrait des Essais de Montaigne, expliquer la faiblesse des causes : « La connaissance des causes appartient seulement à celui qui a la conduite des choses, non à nous qui n’en avons que la souffrance, et qui en avons l’usage parfaitement plein, selon notre nature, sans en pénétrer l’origine et l’essence" (Essais, III,11)

L’épisode biblique de Babel a en effet montré que causer n’est autre chose que babiller sans produire aucun effet :

« Je vois ordinairement que les hommes, aux faits qu’on leur propose, s’amusent plus volontiers à en chercher la raison qu’à en chercher la vérité : ils laissent là les choses, et s’amusent à traiter les causes. Plaisants causeurs" Montaigne, Essais, III, 11

« Nos raisons [celles que l’esprit forge à partir de songes] anticipent souvent l’effet et ont l’étendue de leur juridiction si infinie, qu’elles jugent et s’exercent en l’inanité même et au non être. Outre la flexibilité de notre invention à forger des raisons à toute sorte de songes, notre imagination se trouve pareillement facile à recevoir des impressions de la fausseté par bien frivoles apparences Montaigne, Essais III, 11, p. 1034.. »

Il y a une incommensurabilité entre la cause et l’effet qui empêche la connaissance de la cause par l’effet. Cette incommensurabilité est à rapporter au caractère irrationnel des enchaînements qui se font en l’homme qui est essentiellement mû par ses passions. Montaigne préfigure une attitude qui sera celle du savant moderne : Galilée, dans une lettre du 23 juin 1640 à Fortunio Liceti, déclare privilégier l’étude directe des phénomènes (sans se préoccuper de la manière dont ils se sont produits), aux audaces spéculatives, qui ne sont autres que des fantaisies, des constructions imaginaires.

Etude du texte de Hume sur la causalité :Enquêtes sur l'entendement humain, 7

Babel

 3. Exercices (source : BNF)

 3.1. Comparer mythes et sciences à partir des textes sur l'origine du monde

Comparer, notamment, les thèmes suivants : - comment cela a-t-il commencé ? Qui est à l’origine ?

- combien de temps cela a-t-il duré ?

- dans quel ordre se crée le monde ?

- le mythe rend-il compte de désordres, de bagarres, d’épreuves à traverser ?

- quelle place occupe l’être humain dans la création, quelle responsabilité a-t-il à son égard ?

- comment se situent l’homme et la femme l’un par rapport à l’autre ?

- l’univers est-il fini ou infini, est-il perfectible, a-t-il une limite dans le temps ?

- le mythe évoque-t-il la mort ?

- le mythe sous-entend-il une représentation du bien et du mal ?

- le mythe repose-t-il sur une conception du temps (un temps cyclique – un temps avec un commencement et une fin…) ?

- Essayer d’analyser la manière dont les mythes évoluent avec l’histoire des sociétés et le développement de la connaissance scientifique du monde ; - Essayer de recenser dans les mythes des éléments susceptibles de rendre compte, de manière poétique, d’intuitions sur les origines de monde, que les scientifiques d’aujourd’hui ne récuseraient pas. Recenser également des éléments de représentation rendant compte de manière erronée de la réalité.

 3.2. Contes et récits : à distinguer du mythe

À côté des mythes, les contes n’expliquent pas le monde, mais proposent des parcours initiatiques pour s’y frayer un chemin. Enfin, des récits poétiques ou humoristiques n’ont d’autre ambition que de distraire les lecteurs même s’ils sont sous-tendus par un propos philosophique.

Les éditions Larousse proposent, en livre de poche, une anthologie intitulée 36 façons d’inventer le monde. Voici, extraits majoritairement de cette anthologie, cinq débuts de récits dont vous pourrez imaginer la suite avant de vous reporter aux textes respectifs de Mark Twain, Le Journal d’Adam et Eve, de Pierre Gripari, Contes de la rue Broca ; d’Abdou Anta Ka, La Création selon les Noirs ; de Gianni Rodari, Histoire au téléphone. Le dernier texte, hors anthologie, est de Pierre Aroneanu, Le Maître des signes, aux éditions Alternatives.

Cinq débuts de récits :

Le point de vue d’Adam

Lundi. Cette nouvelle créature aux longs cheveux est bien encombrante. Elle ne fait que traîner et me suit partout. Je n’aime pas ça ; je n’ai pas l’habitude de la société ; je voudrais qu’elle reste avec les autres animaux. Temps couvert aujourd’hui, le vent est à l’est ; je pense que nous allons avoir la pluie… Nous ? Où ai-je pris ce mot ?… Je m’en souviens maintenant : c’est la nouvelle créature qui a dit ça. Huit jours plus tard. La nouvelle créature dit que son nom est Eve. Parfait, je n’y vois pas d’inconvénient ; elle dit que c’est pour l’appeler quand j’ai besoin d’elle ; j’ai répondu qu’alors c’était du "superflu". Ça a eu l’air de l’impressionner. Il est vrai que c’est un beau mot, qui sonne bien ; je le replacerai.

Marc Twain, Le Journal d’Adam et Eve

Et si Dieu était un enfant ? Il était une fois une maman Dieu, avec son petit Dieu. La maman Dieu était installée dans un grand fauteuil et reprisait des chaussettes pendant que le petit Dieu, assis à une grande table, finissait ses devoirs.

Le petit Dieu travaillait en silence. Et quand il eut fini, il demanda :

"Dis-moi, Maman : est-ce que tu me donnes la permission de faire le monde ?"

La maman Dieu le regarda :

"Tu as fini tes devoirs ? - Oui, Maman. - Tu as appris tes leçons ? - Oui, Maman. - C’est bon. Alors, tu peux. - Merci, Maman."

Le petit Dieu prit une feuille de papier, des crayons de couleurs, et il se mit à faire le monde.

Pierre Gripari,Contes de la rue Broca, éditions La Table ronde.

La création selon les Noirs "Non, mon fils, Adam n’est pas le Premier Homme selon nous, les Noirs. Eve non plus n’est pas la Première Femme. - Grand-père, qui donc était le Premier Homme selon nous ? - Ecoute… Donne-moi le temps de bourrer ma pipe. - Tu fumes trop, grand-père. - Cela me fait du bien… La lune est le Premier Homme. - La lune notre ancêtre ! Que me racontes-tu là, grand-père ?"

Abdou Anta Ka, La Création selon des Noirs, éditions Nouvelles éditions africaines.

Histoire universelle Au commencement, la Terre était faite de travers, et il fallut bien des efforts pour la rendre plus habitable.

Gianni Rodari, Histoires au téléphone, La Farandole

La stèle de la terre Il était une fois, assis face à la ligne d’Infini qui sépare l’Ombre de la Lumière, un Poète.

Après avoir médité pendant dix mille ans, il trempa son pinceau dans l’encre de la nuit et, sur la surface blanche du jour, il traça le chiffre UN, cause de toutes les causes, origine de tout ce qui est.

Dix mille autres années de méditation lui révélèrent le principe de la Dualité contenue dans le chiffre un, comme dans toute chose. Alors, du chiffre premier, il tira le nombre DEUX.

Puis de deux, le nombre TROIS. Le jour ne contient-il pas le matin, le midi, le soir, et le temps, le passé, le présent, le futur ?

Pierre Aroneanu, Le Maître des signes, éditions Alternatives.

 3.3. Construire un récit à partir des ingrédients que vous aurez sélectionnés en choisissant un nombre de 1 à 7 dans chacune des catégories suivantes.

Le lieu du récit

le chaos, le fond de l’océan, la dernière des galaxies, l’anneau de Saturne, une géante rouge, un trou noir, une étoile nouvellement née.

Le héros de l’histoire

un extraterrestre, le survivant de la planète B 312, un enfant au regard bleu nuit, un géant au pied d’argile, un homme qui marchait à reculons, une toute petite planète, la grande déesse.

Une épreuve à franchir

remonter le temps, la disparition de la pluie, déchiffrer une inscription dans une écriture inconnue, éviter une mutation génétique, tuer le monstre aux trois regards, franchir la mer de glace, retrouver la mémoire.

Un objet magique

un rayon laser, une pierre sacrée, une planète magique, un œuf de cristal, une lettre de feu, l’eau de la régénérescence, le bâton de bien et du mal.

La rencontre d’un personnage bénéfique

la femme oiseau, le lézard couleur du temps, l’homme d’Alidazur, le serpent d’argent, la déesse Naéma, l’ombre bleue, l’enfant aux cheveux d’or.

La rencontre d’un personnage maléfique

la Division, le loup des steppes, le géant vert, le diable aux trois têtes, le dieu muet, le soleil mort, l’ombre de lui-même.

La morale de l’histoire

on peut toujours trouver un plus méchant que soi ; l’avenir appartient à ceux qui se donnent la peine de l’explorer ; celui qui se contente de ce qu’il a se contente de peu ; ce qui a été séparé peut toujours être réuni ; ce qui brille n’a pas toujours de la valeur ; aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain ; le passé ne manque pas d’avenir.

 4. Mythe et existence

Lire le texte de Voltaire

Ce qu'ils virent dans le pays d'Eldorado

Cacambo témoigna à son hôte toute sa curiosité; l'hôte lui dit: « Je suis fort ignorant, et je m'en trouve bien; mais nous avons ici un vieillard retiré de la cour qui est le plus savant homme du royaume, et le plus communicatif. » Aussitôt il mène Cacambo chez le vieillard. Candide ne jouait plus que le second personnage, et accompagnait son valet. Ils entrèrent dans une maison fort simple, car la porte n'était que d'argent, et les lambris des appartements n'étaient que d'or, mais travaillés avec tant de goà»t que les plus riches lambris ne l'effaçaient pas. L'antichambre n'était à la vérité incrustée que de rubis et d'émeraudes; mais l'ordre dans lequel tout était arrangé réparait bien cette extrême simplicité.

Le vieillard reçut les deux étrangers sur un sofa matelassé de plumes de colibri, et leur fit présenter des liqueurs dans des vases de diamant; après quoi il satisfit à leur curiosité en ces termes:

« Je suis âgé de cent soixante et douze ans, et j'ai appris de feu mon père, écuyer du roi, les étonnantes révolutions du Pérou dont il avait été témoin. Le royaume où nous sommes est l'ancienne patrie des Incas, qui en sortirent très imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde et qui furent enfin détruits par les Espagnols. Les princes de leur famille qui restèrent dans leur pays natal furent plus sages; ils ordonnèrent, du consentement de la nation, qu'aucun habitant ne sortirait jamais de notre petit royaume; et c'est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité. Les Espagnols ont eu une connaissance confuse de ce pays, ils l'ont appelé El Dorado; et un Anglais, nommé le chevalier Raleigh, en a même approché il y a environ cent années; mais, comme nous sommes entourés de rochers inabordables et de précipices, nous avons toujours été jusqu'à présent à l'abri de la rapacité des nations de l'Europe, qui ont une fureur inconcevable pour les cailloux et pour la fange de notre terre, et qui, pour en avoir, nous tueraient tous jusqu'au dernier. »

La conversation fut longue; elle roula sur la forme du gouvernement, sur les moeurs, sur les femmes, sur les spectacles publics, sur les arts. Enfin Candide, qui avait toujours du goà»t pour la métaphysique, fit demander par Cacambo si dans le pays il y avait une religion.

Le vieillard rougit un peu. « Comment donc! dit-il; en pouvez-vous douter? Est-ce que vous nous prenez pour des ingrats?  » Cacambo demanda humblement quelle était la religion d'Eldorado. Le vieillard rougit encore: « Est-ce qu'il peut y avoir deux religions? dit-il. Nous avons, je crois, la religion de tout le monde; nous adorons Dieu du soir jusqu'au matin. - N'adorez-vous qu'un seul Dieu? dit Cacambo, qui servait toujours d'interprète aux doutes de Candide. - Apparemment, dit le vieillard, qu'il n'y en a ni deux, ni trois, ni quatre. Je vous avoue que les gens de votre monde font des questions bien singulières. » Candide ne se lassait pas de faire interroger ce bon vieillard; il voulut savoir comment on priait Dieu dans l'Eldorado. « Nous ne le prions point, dit le bon et respectable sage; nous n'avons rien à lui demander, il nous a donné tout ce qu'il nous faut; nous le remercions sans cesse. » Candide eut la curiosité de voir des prêtres; il fit demander où ils étaient. Le bon vieillard sourit. « Mes amis, dit-il; nous sommes tous prêtres; le roi et tous les chefs de famille chantent des cantiques d'actions de grâces solennellement tous les matins, et cinq ou six mille musiciens les accompagnent. - Quoi! Vous n'avez point de moines qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent, qui cabalent, et qui font brà»ler les gens qui ne sont pas de leur avis? - Il faudrait que nous fussions fous, dit le vieillard; nous sommes tous ici du même avis, et nous n'entendons pas ce que vous voulez dire avec vos moines. » Candide à tous ces discours demeurait en extase, et disait en lui-même: « Ceci est bien différent de la Westphalie et du château de monsieur le baron: si notre ami Pangloss avait vu Eldorado, il n'aurait plus dit que le château de Thunder-ten-tronckh était ce qu'il y avait de mieux sur la terre; il est certain qu'il faut voyager. »

Après cette longue conversation, le bon vieillard fit atteler un carrosse à six moutons, et donna douze de ses domestiques aux deux voyageurs pour les conduire à la cour. « Excusez-moi, leur dit-il, si mon âge me prive de l'honneur de vous accompagner. Le roi vous recevra d'une manière dont vous ne serez pas mécontents, et vous pardonnerez sans doute aux usages du pays, s'il y en a quelques-uns qui vous déplaisent. »

Candide et Cacambo montent en carrosse; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut, et de cent de large; il est impossible d'exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries.

Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d'un tissu de duvet de colibri; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l'appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l'usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s'y prendre pour saluer Sa Majesté: si on se jetait à genoux ou ventre à terre; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière; si on léchait la poussière de la salle; en un mot, quelle était la cérémonie. « L'usage, dit le grand officier, est d'embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper.

En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu'aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d'eau pure, les fontaines d'eau-rose, celles de liqueurs de canne de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d'une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement; on lui dit qu'il n'y en avait point, et qu'on ne plaidait jamais. Il s'informa s'il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir; ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d'expériences de physique.

Après avoir parcouru toute l'après-dînée à peu près la millième partie de la ville, on les ramena chez le roi. Candide se mit à table entre Sa Majesté, son valet Cacambo, et plusieurs dames. Jamais on ne fit meilleure chère, et jamais on n'eut plus d'esprit à souper qu'en eut Sa Majesté. Cacambo expliquait les bons mots du roi à Candide, et quoique traduits, ils paraissaient toujours des bons mots. De tout ce qui étonnait Candide, ce n'était pas ce qui l'étonna le moins.

Ils passèrent un mois dans cet hospice. Candide ne cessait de dire à Cacambo: « Il est vrai, mon ami, encore une fois, que le château où je suis né ne vaut pas le pays où nous sommes; mais enfin mademoiselle Cunégonde n'y est pas, et vous avez sans doute quelque maîtresse en Europe. Si nous restons ici, nous n'y serons que comme les autres; au lieu que si nous retournons dans notre monde, seulement avec douze moutons chargés de cailloux d'Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n'aurons plus d'inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément reprendre mademoiselle Cunégonde. »

Ce discours plut à Cacambo; on aime tant à courir, à se faire valoir chez les siens, à faire parade de ce qu'on a vu dans ses voyages, que les deux heureux résolurent de ne plus l'être, et de demander leur congé à Sa Majesté.

« Vous faites une sottise, leur dit le roi; je sais bien que mon pays est peu de chose; mais, quand on est passablement quelque part, il faut y rester. Je n'ai pas assurément le droit de retenir des étrangers; c'est une tyrannie qui n'est ni dans nos moeurs ni dans nos lois: tous les hommes sont libres; partez quand vous voudrez, mais la sortie est bien difficile. Il est impossible de remonter la rivière rapide sur laquelle vous êtes arrivés par miracle, et qui court sous des voà»tes de rochers. Les montagnes qui entourent tout mon royaume ont dix mille pieds de hauteur, et sont droites comme des murailles: elles occupent chacune en largeur un espace de plus de dix lieues; on ne peut en descendre que par des précipices. Cependant, puisque vous voulez absolument partir, je vais donner ordre aux intendants des machines d'en faire une qui puisse vous transporter commodément. Quand on vous aura conduits au revers des montagnes, personne ne pourra vous accompagner: car mes sujets ont fait voeu de ne jamais sortir de leur enceinte, et ils sont trop sages pour rompre leur voeu. Demandez-moi d'ailleurs tout ce qu'il vous plaira. - Nous ne demandons à Votre Majesté, dit Cacambo, que quelques moutons chargés de vivres, de cailloux, et de la boue du pays. » Le roi rit: « Je ne conçois pas, dit-il, quel goà»t vos gens d'Europe ont pour notre boue jaune; mais emportez-en tant que vous voudrez, et grand bien vous fasse. »

Il donna l'ordre sur-le-champ à ses ingénieurs de faire une machine pour guinder ces deux hommes extraordinaires hors du royaume. Trois mille bons physiciens y travaillèrent; elle fut prête au bout de quinze jours, et ne coà»ta pas plus de vingt millions de livres sterling, monnaie du pays. On mit sur la machine Candide et Cacambo; il y avait deux grands moutons rouges sellés et bridés pour leur servir de monture quand ils auraient franchi les montagnes, vingt moutons de bât chargés de vivres, trente qui portaient des présents de ce que le pays a de plus curieux, et cinquante chargés d'or, de pierreries et de diamants. Le roi embrassa tendrement les deux vagabonds.

Ce fut un beau spectacle que leur départ, et la manière ingénieuse dont ils furent hissés, eux et leurs moutons, au haut des montagnes. Les physiciens prirent congé d'eux après les avoir mis en sà»reté, et Candide n'eut plus d'autre désir et d'autre objet que d'aller présenter ses moutons à mademoiselle Cunégonde. « Nous avons, dit-il, de quoi payer le gouverneur de Buenos-Ayres, si mademoiselle Cunégonde peut être mise à prix. Marchons vers la Cayenne, embarquons-nous, et nous verrons ensuite quel royaume nous pourrons acheter. »

1759 Voltaire (François Marie Arouet, dit), Candide ou l’Optimisme

Chapitre dix-huitième: Ce qu'ils virent dans le pays d'Eldorado. Genève, Cramer.

Voltaire

Candide ou l’Optimisme Chapitre dix-huitième: Ce qu'ils virent dans le pays d'Eldorado. Genève, Cramer

 5. Mythe et idéologie

(source : BNF)

On peut inventer des mythes à des fins politiques. Travestissant les faits ils deviennent un instrument politique. On cherche ici, dans cet exemple, à rassembler le peuple autour de l'idée de patrie.

mythe des origines gauloises de la France
Exilés troyens conduits par Brutus Compilation des Chroniques et histoires des Bretons Pierre le Baud, auteur, XVe? siècle. BnF?, Manuscrits, français 8266 fol. 21 © Bibliothèque nationale de France

Le mythe des origines troyennes est très largement accepté au Moyen Âge qui ignore "nos ancêtres les Gaulois". C'est au début du XVIe? siècle que Jean Lemaire de Belges, dans ses Illustrations de Gaule et Singularités de Troie, intègre l'histoire gauloise dans l'histoire de France sans renoncer aux origines troyennes : selon lui, à l'origine des temps, les Gaulois issus du royaume de France, partis vers l'Orient sous la conduite de Brennus, auraient fondé Troie d'où leurs descendants seraient revenus, conduits par Francion !

En haut, la Gaule où les deux Troyens vont s'imposer en Guyenne et à Tours (la petite ville fortifiée) après un incident de chasse (figuré par le petit tireur à l'arc troyen) qui déclenche une guerre avec les Gaulois. La rivière en ligne brisée qui traverse l'image figure la Manche que les Troyens franchissent sous la conduite de Brutus pour affronter les géants de Cornouaille.