Table des matières

Maryse Emel

 1. Introduction

Ces exercices sont la première partie d'un cours consacré à la nature.

on y abordera dans ce premier moment les divers sens du mot nature et ce qui pose à partir de là problème.

 1.0.1. En préambule : un film

source Nous trouvons une parfaite illustration du mythe du bon sauvage dans l’ouverture de La Ligne rouge : les insulaires intègrent parfaitement Witt et son compagnon à leur petite communauté ; ils vivent simplement, aucune trace de civilisation ne vient entamer l’insouciance et la pureté de l’île. La paix et le bonheur sont omniprésents. Witt s’étonne que « les enfants d’ici ne se battent jamais », comme il le confie à une Mélanésienne. Dans ce cadre idyllique, quels signes rappellent néanmoins le contexte de la guerre ?

la ligne rouge (film) Etat de nature

Witt et son compagnon vivent comme dans un paradis terrestre et en oublient complètement l’enfer de la guerre qui fait rage sur le continent. Le bonheur est donc amnésique. Néanmoins, quelques signes rappellent au spectateur et aux personnages que nous sommes en pleine Seconde Guerre mondiale : Witt porte une amulette de soldat à son cou 2 et, à la fin de la séquence, nous voyons surgir au large un patrouilleur américain 4 qui vient reprendre les déserteurs à leur bord, les arracher à leur nouveau style de vie et les replonger dans l’enfer de la guerre dont ils ne veulent rien savoir. L’extrait du Requiem, cette messe des morts placée dès l’ouverture du film, aurait pu nous alerter, car il introduit une note sombre dans ce cadre idyllique et apparemment préservé du mal. La fin ne peut être que tragique.

En quoi cette séquence inaugurale rappelle-t-elle l’expérience de Walden ?

 

Cette ouverture n’est pas sans rappeler l’expérience consignée par Henry David Thoreau qui a aussi marqué bon nombre de réalisateurs américains : en plein XIXe? siècle, dans le pays qui est en passe de devenir le plus industrialisé du monde, Thoreau tourne le dos à la civilisation et s’installe seul dans les bois, à un mille de tout voisinage, dans une cabane qu’il a construite lui-même, au bord de l’étang de Walden dans le Massachusetts. Il ne doit plus son existence qu’au travail de ses mains. C’est là qu’il commence à écrire Walden, grand classique de la littérature américaine et hymne épicurien à la nature, aux saisons, aux plantes et aux bêtes. Cette expérience a inspiré plusieurs réalisateurs, comme Terrence Malick, Douglas Sirk (Tout ce que le ciel permet fait une référence explicite à Walden) ou encore, indirectement, Sean Penn dans son film Into the Wild, tiré du livre éponyme de Jon Krakauer qui relate la vie d’un aventurier grand lecteur de Thoreau.

 2. Nature et sauvagerie

 2.1. Introduction : qu'est-ce qui nous conduit à penser la nature comme sauvage?

 2.1.1. la nature ou l'hybris - la démesure

La nature est vaste et infinie. Sans limite (apeiron en grec)

écouter l'émission sur Les origines de la pensée grecque :

Ecouter J.P Vernant

Comparer avec la description qu'Homère donne du Cyclope dans l'Odyssée. En quoi le cyclope représente-t-il la sauvagerie?

  • Démesure et inhumain
  • L'humain ou la difficile universalité

Texte de Montaigne Les Essais Livre I. Chapitre 31 « Des cannibales »

Pourquoi Montaigne distingue-t-il le sauvage du barbare? Quelle est la source des préjugés?

Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances d pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, à produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodés au plaisir de notre goût corrompu.

 2.1.2. La nature comme symbole de la superstition, une autre démesure : son dévoilement est interprété comme triomphe des Lumières

Décrire le dessin et construire une interprétation

 2.1.3. La nature et la terreur.

Soulever le voile d'Isis, déesse de la nature, peut parfois engendrer la terreur Lire ce poème de Schiller écrit en 1795

L’IMAGE VOILÉE DE SAÏS.

Un jeune homme que la soif de la science entraînait à Saïs en Égypte, pour apprendre la sagesse secrète des prêtres, avait parcouru rapidement plusieurs degrés du savoir; son esprit inquiet le poussait toujours plus loin et l’hiérophante pouvait à peine modérer l’ardeur de l’impatient disciple.

— Qu’ai-je donc, s’écriait-il, si je n’ai pas tout? la science souffre-t-elle le plus et le moins? ta vérité est-elle comme la fortune qui se distribue en parts inégales, et que l’on possède en grandes ou petites parcelles? Ta vérité n’est-elle pas une et indivisible? Prends un accord dans une harmonie! prends une couleur dans l’arc-en-ciel! ce qui te reste n’est rien tant que tu ne réunis pas l’ensemble des sons et l’ensemble des nuances.

Ils s’entretenaient ainsi dans une enceinte silencieuse et solitaire, où une image voilée et gigantesque frappa les regards du jeune homme; il la contemple stupéfait et s’écrie: — Qu’y a-t-il donc derrière ce voile? — La vérité. — Quoi! dit-il, c’est la vérité seule que je cherche et c’est elle que l’on me cache. ― Soulève ce voile avec l’aide de la divinité, répond le hiérophante. Nul homme, a-t-elle dit, ne l’enlèvera, si je ne le seconde moi-même. Et celui qui d’une main profane et coupable osera arracher ce voile sacré, ce voile interdit; ― Eh bien? ― Celui-là verra la vérité.

― Étrange oracle! toi-même tu ne l’as donc jamais soulevé? ― Moi! Oh non! jamais, et je n’en ai pas été tenté. ― Je ne te comprends pas. S’il n’y a entre la vérité et moi que ce léger rideau? … ― Et une loi, mon fils, reprend le prêtre, une loi plus imposante que tu ne peux le croire. Ce voile, léger pour ta main, serait lourd pour ta conscience. ―

Le jeune homme s’en retourne pensif dans sa demeure, la soif du savoir lui enlève le sommeil. Il se retourne avec une anxiété brà»lante sur sa couche et se lève à minuit. D’un pas craintif, il se dirige involontairement vers le temple. Il gravit légèrement le mur extérieur et d’un bond hardi s’élance dans l’enceinte.

Là il s’arrête dans le silence terrible, interrompu seulement par le bruit de ses pas. Du haut de la coupole la lune projette sa lueur argentine, et dans les ténèbres de l’enceinte, l’image voilée apparaît à la lueur de cet astre nocturne, comme un Dieu visible. Le jeune homme s’avance d’un pas incertain, sa main téméraire va toucher le voile sacré; mais un frisson subit agite tous ses membres et un bras invisible le repousse au loin. ― Malheureux! lui cria une voix intérieure, que vas-tu faire? Veux-tu porter atteinte à la divinité? Nul homme, a dit l’oracle, ne soulèvera ce voile, si je ne le seconde moi-même. Mais ce même oracle n’a-t-il pas ajouté: Celui qui arrachera ce voile verra la vérité? ― Qu’importe ce qu’il y a là derrière? s’écrie le jeune homme, je veux le soulever, je veux la voir. ― La voir! répète l’écho railleur.

Il dit et enlève le voile. Demandez maintenant ce qu’il a vu. Je ne le sais; le lendemain les prêtres le trouvèrent pâle et inanimé, étendu aux pieds de la statue d’Isis. Ce qu’il a vu et éprouvé, sa langue ne l’a jamais dit. La gaieté de sa vie disparut pour toujours. Une douleur profonde le conduisit promptement au tombeau, et lorsqu’un curieux importun l’interrogeait: Malheur, répondait-il, malheur à celui qui arrive à la vérité par une faute! Jamais elle ne le réjouira.

Schiller (Friedrich)

L’image voilée de Saïs

 2.2. De la nature sauvage au sauvage "modèle"

 2.2.1. Le sauvage et l'européen

Dès le XVIème siècle, la figure du sauvage sert à critiquer l’Européen. C’est déjà une arme critique. La dette de Diderot à l’égard des textes du XVIème siècle et en particulier de Jean de Léry se remarque également à propos d’un des textes majeurs du Supplément : les adieux du vieillard.

Jean de Léry Histoire d’un Voyage fait en la terre du Brésil « Nudité des Américaines moins à craindre que l’artifice des femmes de par-deçà »'''

Toutesfois avant que clore ce chapitre, ce lieu-ci requiert que je réponde, tant à ceux qui ont écrit, qu’à ceux qui pensent que la fréquentation entre ces sauvages tous nus, et principalement parmi les femmes, incite à lubricité et paillardise. Sur quoi je dirai en un mot, qu’encore voirement qu’en apparence il n’y ait que trop d’occasion d’estimer qu’outre la déshonnêteté de voir ces femmes nues, cela ne semble aussi servir comme d’un appât ordinaire à convoitise : toutefois, pour en parler selon ce qui s’en est communément aperçu pour lors, cette nudité, aussi grossière en telle femme est beaucoup moins attrayante qu’on ne cuiderait. Et partant, je maintiens que les attifets, fards, fausses perruques, cheveux tortillés, grands collets fraisés, vertugales, robes sur robes, et autres infinies bagatelles dont les femmes et filles de par-deçà se contrefont et n’ont jamais assez, sont sans comparaison, cause de plus de maux que n’est la nudité ordinaire des femmes sauvages : lesquelles cependant, quant au naturel, ne doivent rien aux autres en beauté. Tellement que si l’honnêteté me permettait d’en dire davantage, me vantant de bien soudre toutes les objections qu’on pourrait amener au contraire, j’en donnerais des raisons si évidentes que nul ne pourrait les nier. Sans doncques poursuivre ce propos plus avant, je me rapporte de ce peu que j’en ai dit à ceux qui ont fait le voyage en la terre du Brésil, et qui comme moi ont vu les unes et les autres. Ce n’est cependant que contre ce que dit la sainte Ecriture d’Adam et Eve, lesquels après le péché, reconnaissant qu’ils étaient nus furent honteux, je veuille en façon que ce soit approuver cette nudité : plutôt détesterai-je les hérétiques qui contre la Loi de nature (laquelle toutefois quant à ce point n’est nullement observée entre nos pauvres Américains) l’ont toutefois voulu introduire par-deçà. Mais ce que j’ai dit de ces sauvages est, pour montrer qu’en les condamnant si austèrement, de ce que sans nulle vergogne ils vont ainsi le corps entièrement découvert, nous excédant en l’autre extrémité, c’est-à-dire en nos bombances, superfluités et excès en habits, ne sommes guères plus louables. Et plût à Dieu, pour mettre fin à ce point, qu’un chacun de nous, plus pour l’honnêteté et nécessité, que pour la gloire''' et mondanité, s’habillât modestement.

En quoi les textes de Héry et Montaigne font de la nature un étalon afin de juger de la déraison des européens?

En côtoyant la mer à la quête de leurs mines, aucuns Espagnols prirent terre en une contrée fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leurs remontrances accoutumées : « Qu’ils étaient gens paisibles, venant de lointains voyages, envoyés de la part du roi de Castille, le plus grand Prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient lui être tributaires, ils seraient très bénignement traités ; leur demandaient des vivres pour leur nourriture et de l’or pour le besoin de quelque médecine ; leur remontraient au demeurant la créance d’un seul Dieu et la vérité de notre religion laquelle ils conseillaient d’accepter, y ajoutant quelques menaces. » La réponse fut telle : « Que, quant à être paisibles, ils n’en portaient pas la mine, s’ils l’étaient ; quant à leur roi, puisqu’il demandait, il devait être indigent et nécessiteux, et celui qui lui avait fait cette distribution, homme aimant dissension, d’aller donner à un tiers chose qui n’était pas sienne, pour le mettre en débat contre les anciens possesseurs ; quant aux vivres, qu’ils leurs en fourniraient ; d’or, ils en avaient pu, et que c’était chose qu’ils mettaient en nulle estime, d’autant qu’elle était inutile au service de leur vie, là où tout leur soin regardait seulement à la passer heureusement et plaisamment ; pourtant, ce qu’ils en pourraient trouver, sauf ce qui était employé au service de leurs dieux, qu’ils le prissent hardiment ; quant à un seul Dieu, le discours leur en avait plu, mais qu’ils ne voulaient changer leur religion, s’en étant si utilement servi si longtemps, et qu’ils n’avaient accoutumé prendre conseil que de leurs amis et connaissances ; quant aux menaces, c’était signe de faute de jugement d’aller menaçant ceux desquels la nature et les moyens étaient inconnus ; ainsi qu’ils se dépêchassent promptement de vider leur terre, car ils n’étaient pas accoutumés de prendre en bonne part les honnêtetés et remontrances de gens armés et étrangers ; autrement, qu’on ferait d’eux comme de ces autre, leur montrant les têtes d’aucuns hommes justiciés autour de leur ville. » Voilà un exemple de la balbutie de cette enfance.

Montaigne Les Essais Livre II. Chapitre 6 « Des coches »

Exercice : La nature est ici une construction théorique : faire un schéma qui fait apparaître la construction d'une comparaison