Si l'on parle de la superstition des logiciens, je ne me lasserai jamais de souligner un petit fait très bref que les gens atteints de cette superstition n'aiment guère avouer, c'est à savoir qu'une pensée voient quand » elle » veut et non quand » je » veux, en telle sorte que c'est falsifier les faits que de dire que le sujet » je » est la détermination du verbe » pense ». Quelque chose pense, mais que ce soit justement ce vieil et illustre » je », ce n'est là, pour le dire en termes modérés, qu'une hypothèse, une allégation, surtout ce n'est pas une » certitude immédiate ». Enfin, c'est déjà trop dire que d'affirmer que quelque chose pense, ce » quelque chose » contient déjà une interprétation du processus lui-même. On raisonne selon la routine grammaticale: » Penser est une action, toute action suppose un sujet actif, donc. » C'est par un raisonnement analogue que l'anatomiste ancien plaçait à l'origine de la » force agissante » la parcelle de matière où réside cette force et à partir de laquelle elle agit, l'atome, des esprits plus rigoureux ont fini par apprendre à se passer de ce dernier » résidu terrestre », et peut- être arrivera-t-on un jour, même chez les logiciens, à se passer de ce petit » quelque chose », résidu qu'a laissé en s'évaporant le brave mieux » moi ».
Nietzsche