Corot me fait voir des arbres, une prairie, une vache, une bergère. Qu’al-je besoin de lui? Il ne manque pas d’arbres, ni de prairies, et véritables. Je me reposerai à l’ombre. Et l’océan lui-même est quelque chose de mieux que ce petit ruban de couleurs que le peintre en a gardé. Le vrai océan me mouillera les pieds. Ou bien ce que j’admire n’est-il que l’étonnant travail de l’imitation? Non, il n’en est rien; car je n’aime pas être trompé par une peinture; et bien plutôt le peintre veut que je ne sois point trompé. Le cadre m’est une sorte d’annonce, qui présente la peinture comme telle, qui la sépare. Au contraire ma fenêtre ouverte me jette dans le monde. Il faut que j’y aille; je fais le tour des choses, je les nomme, j’en use, je les explore. La peinture refuse l’exploration. Changez de place, soit; vous éliminez quelque reflet du monde, toutefois vous ne saisissez jamais qu’un aspect, un moment fixé. Que regarde donc l’homme, par cette autre fenêtre? Pourquoi y revient-il? Je suppose qu’il s’y voit lui-même. Mais quoi? Un arbre, une vache, un nuage, une brume bleue ou rousse, voilà un étrange portrait de moi. C’est que le monde peint est plus moi que l’autre. ALAIN
Alain