Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles- mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste « inhumain » en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. Quelque intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n’est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde en nous en parlant, et dans ce parler, nous apprenons à être humains.

Arendt (Hannah)

Vies politiques