L'esprit critique

Table des matières

 1. L'esprit critique

 1.1. Mise en place de la problématique

exercice de Maryse Emel

Ambiguïté du mot "critique"

Les exercices qui suivent montrent qu'il ne suffit pas d'argumenter

Analyse du mot

L'état critique, difficilement décidable est l'occasion de développer des arguments pas toujours rationnels.

Gorgias de Platonexemple : le malade, le médecin et le rhéteur

"Gorgias – ah, si au moins tu savais tout, Socrate, et en particulier que la rhétorique, laquelle contient, pour ainsi dire, toutes les capacités humaines, les maintient toutes sous son contrôle ! je vais t’en donner une preuve frappante. Voici. Je suis allé, souvent déjà, avec mon frère, et d’autres médecins, visiter des malades qui ne consentaient ni à boire leur remède, ni à se laisser saigner ou cautériser par le médecin. Et là où ce médecin était impuissant à les convaincre, moi, je parvenais, sans autre art que la rhétorique, à les convaincre. Venons-en à la Cité. Suppose qu’un orateur et qu’un médecin se rendent dans la cité que tu voudras, et qu’il faille organiser, à l’assemblée (…), une confrontation entre le médecin et l’orateur pour savoir lequel des deux on doit choisir comme médecin. Eh bien j’affirme que le médecin aurait l’air de n’être rien du tout, et que l’homme qui sait parler serait choisi s’il le voulait. (…) Car il n’y a rien dont l’orateur ne puisse parler, en public, avec une plus grande force de persuasion que celle de n’importe quel spécialiste. Ah, si grande est la puissance de cet art rhétorique ! (…)"

Que manque-t-il au médecin pour convaincre?
Que manque-t-il à l'orateur pour ne pas se tromper?
Gorgias "double" le médecin : chercher les deux sens du mot "doubler"

Exercice : Répondre aux questions



 1.2. De la naïveté à la bêtise


A partir de cet exercice définir "l'esprit critique"

  • Etude de film : La chèvre. Réfléchir l'argumentation


Etude du Texte de La Fontaine : de la naïveté à la bêtise

L'huître et les plaideurs
Un jour deux Pèlerins sur le sable rencontrent
Une Huître que le flot y venait d'apporter :
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l'égard de la dent il fallut contester.
L'un se baissait déjà pour amasser la proie ;
L'autre le pousse, et dit : Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.
Si par là on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'oeil bon, Dieu merci.
Je ne l'ai pas mauvais aussi,
Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie.
Eh bien ! vous l'avez vue, et moi je l'ai sentie.
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin fort gravement ouvre l'Huître, et la gruge,
Nos deux Messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :
Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens, et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.
Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ;
Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l'argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les écailles.

La Fontaine

Pourquoi peut-on dire que les plaideurs manquent d'esprit critique? En quoi sont-ils atteints par la bêtise?


 1.2.1. Les arguments qui manipulent l'auditoire

Ses prémisses doivent être vraies
Le raisonnement faux provient toujours d'une première erreur, soit que le syllogisme résulte de deux propositions, soit qu'il résulte de plusieurs. Si c'est de deux, il faut nécessairement que l'une d'elles, ou même toutes les deux soient fausses; car, de propositions vraies, ainsi qu'on l'a vu, il ne sort pas de syllogisme faux. S'il résulte de plusieurs propositions, comme C conclu par A B, et celles-ci par D E F G, alors il y a quelque erreur dans les termes supérieurs, et c'est à cause de cette erreur que le raisonnement est faux : car A et B sont conclus par ces termes supérieurs; et, par conséquent, c'est d'eux que viennent la conclusion et l'erreur.Aristote PREMIERS ANALYTIQUES CHAPITRE XVIII.

Un syllogisme est un raisonnement qui tire une conclusion de deux prémisses (des propositions posées initialement et dont on suppose la vérité) en associant deux à deux trois termes différents. L'un des terme, appelé moyen terme, est commun aux deux prémisses et sert à établir un lien entre les deux autres termes. Ce lien est affirmé dans la conclusion.

Exemple:

Les exercices qui suivent montrent qu'il ne suffit pas d'argumenter pour avoir l'esprit critique

 1.2.2. Deleuze. Qu'est-ce que la bêtise selon le philosophe?

La bêtise est un défaut ou une altération de la faculté de juger avec justesse ou justice, ne se rapporte ni à la connaissance, ni à la vérité ou l'erreur
Expliquer :
Récapitulons
clique sur cet exercice

il y a un paradoxe : si l'état critique est indécidable, la critique est étymologiquement le moment du jugement, de la décision (krinein en grec c'est le passage au crible, la séparation du bon grain de l'ivraie) Expliquer le paradoxe.


 1.2.3. L'esprit critique ne s'enseigne pas, il s'exerce

Il faut exercer son esprit critique

Descartes et Kant expliquent que l'esprit critique ne relève pas d'un enseignement mais doit être exercé. Il n'est pas facile de passer du général au particulier.

Le bon sens n'est pas ce que l'on croit

Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont poiutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent: mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et disnt cotinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.Descartes Discours de la méthode

  • Descartes est ironique. Lire la première phrase et expliquer. Pour cela il faut être attentif à chaque mot...Où est le "renversement"?
  • Quelle distinction établit-il dans cette phrase : Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus
  • Pourquoi ne suffit-il pas d'avoir des principes pour bien agir?

On pense par soi_même en pensant avec autrui, ce qui ne signifie pas comme autrui. Penser contre, c'est aussi penser avec.

l'esprit critique c'est...

Les maximes suivantes du sens commun n'appartiennent certes pas à ce dont il s'agit ici en tant qu'elles seraient des parties de la critique du goût, mais elles peuvent toutefois servir à l'explicitation des principes d'une telle critique. Ce sont les maximes suivantes : 1. Penser par soi-même ; 2. Penser en se mettant à la place de tout autre ; 3. Toujours penser en accord avec soi-même. La première est la maxime du mode de pensée qui est libre de préjugés, la seconde celle de la pensée élargie, la troisième celle de la pensée conséquente.

l'esprit critique c'est ...

1. La première est la maxime d'une raison qui n'est pas passive. La tendance à la passivité, par conséquent à l'hétéronomie de la raison, c'est là ce qu'on appelle le préjugé ; et le plus grand de tous les préjugés consiste à se représenter la nature comme n'étant pas soumise à des règles que l'entendement, à travers sa propre loi essentielle, lui donne pour fondement : ce qui n'est autre que la superstition. La libération de la superstition correspond à ce qu'on appelle les Lumières; car, bien que cette dénomination convienne aussi à la libération de préjugés en général, c'est la superstition qui mérite au premier chef (in sensu eminenti) d'être appelée un préjugé, dans la mesure où l'aveuglement en lequel la superstition nous plonge — et même : l'aveuglement qu'elle impose comme une obligation — fait ressortir d'une manière remarquable le besoin d'être guidé par d'autres, par conséquent l'état d'une raison passive.

comprendre le texte: exercice. Cliquer

Qu'est-ce que signifie communément "penser par soi-même?"

l'esprit critique c'est ...

En ce qui concerne la deuxième maxime de cette manière de penser, nous sommes bien accoutumés à appeler par ailleurs « étroit d'esprit » (borné, au sens du contraire d'élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage d'une certaine ampleur (notamment, à un usage intensif). Simplement n'est-il pas question ici du pouvoir de la connaissance, mais de la manière de penser qui consiste à faire de la pensée un usage conforme à sa fin ; et c'est cette manière de penser qui, si restreint selon l'extension et le degré que soit ce dont l'homme se trouve doué naturellement, témoigne cependant que l'on a affaire à un être dont la pensée est élargie — savoir sa capacité à s'élever au-dessus des conditions subjectives et particulières du jugement, à l'intérieur desquelles tant d'autres sont comme enfermés, et à réfléchir sur son propre jugement à partir d'un point de vue universel (qu'il ne peut déterminer que dans la mesure où il se place du point de vue d'autrui).

Quelle distinction opère Kant entre connaître et penser?Faire l'exercice. Cliquer

La troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, est celle à laquelle il est le plus difficile d'accéder, et on ne peut même y parvenir qu'en associant les deux premières maximes et après les avoir suivies assez souvent pour que leur pratique soit devenue une habitude. On peut dire que la première de ces maximes est la maxime de l'entendement, la seconde celle de la faculté de juger, la troisième celle de la raison. Kant Critique de la faculté de juger, 1790, Paragraphe 40 - Du goût comme une sorte de sensus communis. Extrait de Ibid. Éditions Aubier (GF) © 1995, Traduction d'Alain Renaut, pages 279-280.

 1.3. On ne peut pas tout prouver : les limites de la science

et répondre aux questions


 1.3.1. Exemple d'esprit étroit

Exercice à partir d'un film d'Eric Rohmer (:youtube xZ8lFfsiD74:)


 1.4. L'esprit critique ne résout pas tout

Les limites de l'esprit critique

Dans ce qui suit il s'agit de comprendre que la réflexion critique en introduisant une opposition entre deux thèses risque de figer la pensée. C'est l'exemple d'Antigone qui montre cette dualité tragique de l'esprit critique. En outre, l'esprit critique en devenant un moyen, technicise la pensée, c'est-à-dire la soumet à une modalité technicienne. Il peut devenir un instrument au service de sa propre contemplation. Si je dis "avoir l'esprit critique", j'en fais un moyen. Il est extérieur, ce n'est qu'un outil dont je me sers.

Plus la société devient totalitaire, plus l’esprit y est réifié(1) et plus paradoxale sa tentative de s’arracher à la réification de ses propres forces. Même la conscience la plus radicale du désastre risque de dégénérer en bavardage. La critique de la culture se voit confrontée au dernier degré de la dialectique entre culture et barbarie : écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes. L’esprit critique n’est pas en mesure de tenir tête à la réification absolue, laquelle présupposait, comme l’un de ses éléments, le progrès de l’esprit qu’elle s’apprête aujourd’hui à faire disparaître, tant qu’il s’enferme dans une contemplation qui se suffit à elle-même. (Prismes, p. 26) (1) réifié : transformé en chose, sans vie

  • Pour Adorno, il ne faut pas se faire d'illusions. Plus la société se fige dans ses rouages, plus l'idéologie sécuritaire y règne, plus le pouvoir est fragilisé, plus l'esprit est "contrôlé" dans sa capacité à se faire "critique". Expliquer ce paradoxe qui consiste à lui demander de se faire critique, à partir du texte.
  • En quoi revendiquer l'esprit critique est une "affaire d'Etat"?
  • Quelle distinction fait-il entre réflexion et bavardage?

Nous ne sommes que multiplicités de perceptions

C'est ce qu'explique Hume dans ce passage

 1.5. D'autres chemins pour parvenir au vrai que celui du jugement, ou de l'esprit critique

La critique subjective qui ne vise que le particulier et ses défauts, sans y reconnaître la Raison universelle, est chose facile ; elle autorise toutes les fanfaronnades de l’exhibitionnisme, dans la mesure où elle donne, avec les airs de la générosité, l’assurance de la dévotion au bien général. Lorsqu’on considère les individus, les États, l’ordre du monde, il est plus facile de voir leurs défauts que de reconnaître leur vrai contenu. En critiquant négativement, on se donne des airs distingués et on survole dédaigneusement la chose sans y avoir pénétré, c’est-à-dire sans l’avoir saisie elle-même, sans avoir saisi ce qu’il y a de positif en elle. Certes, la critique peut être fondée, mais il est plus facile de découvrir les défauts que de trouver la substance

Antigone prise sur le fait et arrêtée par les gardes

exercice.Cliquer

Il faut se méfier des évidences. L'esprit critique a ses limites, même si on ne cesse de l'encenser. C'est le mirage de la conscience et de la volonté qui lui est associée.

 2. Exercices de compréhension autour de l'espace public

 2.1. Exercice de rédaction

 2.1.1. Les salons

À vous de faire la synthèse de cet "esprit de salon" pour rédiger, par exemple, un article de l’Encyclopédie, une lettre à un ami résidant hors de France à la manière des Lettres persanes de Montesquieu, ou bien une fiche de survie à l’usage du néophyte structurée en dix points clés.

 2.1.2. Occuper l'espace public

Imaginez… Diderot, grâce à une machine à explorer le temps, découvre en avant-première les nouveaux moyens de communication et en particulier l’Internet. Rédigez la lettre qu’il aurait pu écrire à d’Alembert en plaçant son projet dans la perspective des possibilités techniques.

 2.2. Le Procope : Sortir

Cette tradition de réflexion littéraire et politique s’approchant à l’occasion d’une forme de "contre-pouvoir" a-t-elle perduré au fil des siècles ?

  • De Jaucourt, dans l’article "Presse" de l’Encyclopédie, défend avec ferveur cet espace de liberté : joue-t-elle toujours ce rôle à l’époque contemporaine ? Pour vous aider, vous pouvez faire l’inventaire des différents périodiques d’information disponibles en vous interrogeant sur leurs tirages, leur indépendance financière, la concurrence de la presse à diffusion gratuite, l’influence des titres disponibles en ligne.
  • Quels sont les lieux de discussion à l’époque contemporaine ? L’esprit de salon a-t-il traversé les siècles, sous quelle(s) forme(s) ?