L’ironie est l’instauration d’un terrain de connivence avec l’autre, d’un monde commun. Ironiser, c’est montrer – d’une façon qui peut certes être cassante, sarcastique ou même « moqueuse » – les limites du point de vue de l’autre, mais en lui donnant en même temps les moyens de comprendre son erreur et de la rectifier. Vladimir Jankélévitch, dans L’Ironie justement, résume joliment cette idée : « l’ironie tend la perche à celui qu’elle égare ». Elle devient alors un kaïros (une occasion favorable), pour le progrès de l’autre autant que pour celui de ma relation à lui. L’ironie n’a donc de sens que dans l’intersubjectivité, dans la relation : une remarque ironique non comprise n’a aucun sens ; c’est même elle qui risque de ridiculiser son auteur. La moquerie, au contraire, a un sens indépendamment de la réception qui en est faite : sa qualité ne dépend pas de la relation qu’elle instaure entre le moqueur et le moqué. Jankélévitch ira jusqu’à faire de l’ironie l’acte même de la conscience, en tant qu’elle est créatrice d’une distance avec l’immédiateté. L’ironie est le sourire de l’esprit, la moquerie n’est que sa grimace. Philomag no 27 mars 2009 Mis en ligne le 18/09/2012