Le Mondain de Voltaire | Rousseau Discours sur l'Origine et les Fondements de l'inégalité parmi les hommes |
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...Quand la nature était dans son enfance,Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,Ne connaissant ni le tien ni le mien.Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,Ils étaient nus ; et c’est chose très claire Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :Martialo n’est point du siècle d’or.D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;La soie et l’or ne brillaient point chez eux, Admirez-vous pour cela nos aïeux ? Il leur manquait l’industrie et l’aisance :->Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.Quel idiot, s’il avait eu pour lors Quelque bon lit, aurait couché dehors ? Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,Que faisais-tu dans les jardins d’Éden ?Travaillais-tu pour ce sot genre humain ?Caressais-tu madame Ève, ma mère ? Avouez-moi que vous aviez tous deux Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,->La chevelure un peu mal ordonnée,Le teint bruni, la peau bise et tannée.Sans propreté l’amour le plus heureux N’est plus amour, c’est un besoin honteux.Bientôt lassés de leur belle aventure, Dessous un chêne ils soupent galamment Avec de l’eau, du millet, et du gland ;Le repas fait, ils dorment sur la dure : Voilà l’état de la pure nature.(1736) | La terre abandonnée à sa fertilité naturelle , et couverte de forêts immenses que la cognée ne mutila jamais, offre à chaque pas des magasins et des retraites aux animaux de toute espèce. Les hommes dispersés parmi eux observent, imitent leur industrie, et s’élèvent ainsi jusqu’à l’instinct des bêtes, avec cet avantage que chaque espèce n’a que le sien propre, et que l’homme n’en ayant peut-être aucun qui lui appartienne, se les approprie tous, se nourrit également de la plupart des aliments divers que les autres animaux se partagent, et trouve par conséquent sa subsistance plus aisément que ne peut faire aucun d’eux.Accoutumés dès l’enfance aux intempéries de l’air, et à la rigueur des saisons, exercés à la fatigue, et forcés de défendre nus et sans armes leur vie et leur proie contre les autres bêtes féroces, ou de leur échapper à la course, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable. Les enfants, apportant au monde l’excellente constitution de leurs pères, et la fortifiant par les mêmes exercices qui l’ont produite, acquièrent ainsi toute la vigueur dont l’espèce humaine est capable. La nature en use précisément avec eux comme la loi de Sparte avec les enfants des citoyens ; elle rend forts et robustes ceux qui sont bien constitués et fait périr tous les autres ; différente en cela de nos sociétés, où l’État, en rendant les enfants onéreux aux pères, les tue indistinctement avant leur naissance. |